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Revoir le prix des travaux en raison de la hausse du coût des matériaux : une pratique autorisée ?

Les entrepreneurs sont-ils en droit de répercuter à leurs clients la hausse des prix des matériaux en augmentant unilatéralement le prix des travaux après la conclusion du contrat?

La pandémie, la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l’énergie, les pénuries de matières premières, les difficultés d’approvisionnement… autant de facteurs qui, au cours des trois dernières années, ont impacté le secteur de la construction en provoquant une hausse considérable des prix des matériaux.
Face à ces évènements jugés inédits et imprévisibles, se pose la question de savoir si, dans le cadre de marchés privés, les entrepreneurs sont en droit de répercuter à leurs clients cette hausse en augmentant unilatéralement le prix des travaux après la conclusion du contrat.
L’article 1793 de l’ancien Code civil dispose à cet égard que : « Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte d'augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire. ».
Il résulte de cette disposition qu’un entrepreneur n’est, en règle, pas autorisé à modifier unilatéralement un prix forfaitaire après la conclusion du contrat. Le prix constitue en effet un élément essentiel du contrat sur lequel est fondé l’accord des parties et sans lequel celui-ci ne saurait subsister.
Néanmoins, des mécanismes conventionnels et légaux permettent de déroger à ce principe et de prémunir ainsi l’entrepreneur contre les risques qui menacent l’équilibre, voire la rentabilité, du contrat d’entreprise.

  1. La clause de révision des prix

La clause de révision des prix est une disposition contractuelle qui permet d’ajuster, à la hausse comme à la baisse, le prix initialement convenu sur base de facteurs externes et objectivement justifiables.
Pour être valable, cette clause doit répondre aux conditions suivantes [1] :

A défaut d’observer les conditions qui précèdent, la clause de révision des prix sera réputée non écrite et, partant, elle deviendra inapplicable.
Enfin, il va de soi que pour être opposable au cocontractant, cette clause devra être valablement entrée dans le champ contractuel.

  1. La force majeure

La force majeure est définie comme un évènement survenu postérieurement à la conclusion du contrat, qui rend impossible – et non simplement plus onéreuse ou plus difficile – l’exécution de l’obligation du débiteur et ce, indépendamment de toute faute dans le chef de ce dernier [2].
La force majeure suppose que l’évènement soit imprévisible, insurmontable, irrésistible et indépendant de la volonté des parties.
La doctrine enseigne que lorsqu'une partie à un contrat synallagmatique se trouve dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations à la suite d'un cas de force majeure ou d'un cas fortuit, elle en est libérée [3]. Le contrat est alors soit dissout, soit suspendu, selon que l'impossibilité d'exécution est définitive ou temporaire.
La hausse du coût des matériaux, fût-elle imprévisible, ne constitue en toute hypothèse pas un cas de force majeure qui permettrait à l’entrepreneur de se soustraire à l’exécution du contrat ou de modifier le prix des travaux. L’entrepreneur est en effet toujours en mesure d’exécuter le contrat, quand bien même sa marge s’en verrait réduite, voire complètement comprimée.
Ce principe est au demeurant rappelé à l’article 5.74, alinéa 1, du nouveau Code civil qui dispose que : « Chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué. ».
Sauf l’hypothèse où la jurisprudence viendrait à reconnaitre que les évènements que nous avons connus récemment constituent des cas de force majeure, un entrepreneur a donc peu de chances de voir sa demande accueillie sur cette base.

  1. La théorie de l’imprévision

Suivant la théorie de l’imprévision un contrat peut être, soit modifié, soit résilié, dans le cas où, postérieurement à la conclusion de celui-ci, des circonstances nouvelles, totalement imprévisibles et indépendantes de la volonté des parties, viendraient en bouleverser l’économie en alourdissant de manière considérable et anormale les obligations d'une des parties [4].
L'imprévision se distingue de la force majeure en ce que le bouleversement de l'économie du contrat ne rend pas impossible l'exécution de celui-ci, mais la rend exceptionnellement lourde.
En Belgique, la théorie de l’imprévision n’était, jusqu’il y a peu, consacrée par aucune disposition légale, tandis que nos juridictions se montraient généralement hostiles à son application [5].
Pour pallier cette difficulté, la pratique contractuelle a donné naissance aux clauses dites « d’imprévision » ou de « hardship », lesquelles visent à anticiper un changement de circonstances en ouvrant la voie à de nouvelles négociations entre les parties.
L’article 5.74 du nouveau Code civil, entré en vigueur le 1er janvier 2023, consacre désormais la théorie de l’imprévision en ce qu’il autorise une partie à demander à son cocontractant de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin si les conditions cumulatives suivantes sont réunies :

  1. Un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger ;
  2. Ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;
  3. Ce changement n’est pas imputable au débiteur ;
  4.  Le débiteur n’a pas assumé ce risque ;
  5. La loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité. On précisera en effet que cette disposition est supplétive, de sorte que les parties ont la possibilité d’exclure contractuellement cette obligation de renégociation ou de la modaliser.

En pratique, renégocier signifie adapter le contrat, de manière raisonnable et de bonne foi, afin qu’il corresponde à ce que les parties auraient pu convenir si elles avaient été informées, dès le départ, du changement de circonstances.
Relevons enfin qu’en son dernier alinéa, l’article 5.74 du nouveau Code civil prévoit qu’en cas d’échec ou de refus des renégociations dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande de l’une des parties, soit modifier le contrat pour le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu lors de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, soit résilier le contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon les modalités qu’il fixe.
La transposition de ces principes au cas particulier de la hausse des prix des matériaux n’est toutefois pas aisée et suscite de nombreuses interrogations. A partir de quand l’augmentation de prix rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat ? Dans quelle mesure un entrepreneur pourrait, de nos jours, encore prétendre que cette augmentation était imprévisible ?
Vu les conditions strictes imposées par l’article 5.74 du nouveau Code civil, son application demeurera en toute hypothèse exceptionnelle. Par mesure de précaution, les parties s’attacheront plutôt à la rédaction d’une clause contractuelle spécifique adaptée aux situations qu’elles pourraient être amenées à rencontrer.

 

Melody De Nys

 

[1] Article 57 de la Loi du 30 mars 1976 relative aux mesures de redressement économique.

[2] J. Van Zuylen, « La force majeure en matière contractuelle: un concept unifié? Réflexions à partir des droits belge, français et hollandais », RGDC, 2013/8, p. 407.

[3] P.A. Foriers et Ch. de Leval, « Force majeure et contrat », Le droit des obligations contractuelles et le bicentenaire du Code civil, Bruxelles, La Charte, 2004, spéc. n° 36 et s., p. 268 et s.

[4] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, 3e éd., t. II, Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 560.

[5] Cass. 14 avril 1994, Pas., 1994, I, n° 177.

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