RCD et crédit hypothécaire : « La douane de l’admissibilité : créance exigible ou non, déclarez ! » - petit point sur quelques décisions choisies.
Dans le cadre du Règlement collectif de dettes, la jurisprudence est équivoque sur le(s) critère(s) permettant aux banques de déterminer avec précision si un crédit hypothécaire en cours, n’accusant aucun retard, doit être dénoncé. Notre avis est simple : déclarez le tout, et soyez rassuré.
L’article 1675/9 du Code judiciaire dispose que tout créancier dont le débiteur est admis au bénéfice du règlement collectif de dettes doit déclarer sa créance dans le mois de la notification de la décision d’admissibilité. Le créancier qui ne respecte pas ce délai, se voit adresser un dernier rappel par le médiateur et dispose alors d’un délai de 15 jours, à dater de ce dernier rappel, afin de déclarer sa créance, à défaut de quoi, il est réputé renoncer à celle-ci.
De manière générale, rappelons que l’hypothèse selon laquelle la survenance du concours à la suite de l’ordonnance d’admissibilité entrainerait de plein droit la déchéance du terme, et partant, l’exigibilité de l’entièreté de la créance, ne fait pas l’unanimité et se voit d’ailleurs contredite par certaines juridictions[1].
Retenons de cette jurisprudence que l’admission du débiteur au bénéfice du règlement collectif de dettes n’entraine pas de déchéance automatique du terme de sorte que les crédits en cours se poursuivent.
Penchons-nous maintenant sur le cas particulier des créances hypothécaires. Deux cas de figure sont possibles à la date de l’ordonnance d’admissibilité :
- Soit, la banque procède à la dénonciation volontaire du crédit, rendant ainsi la créance hypothécaire immédiatement exigible ;
- Soit, la banque ne procède à aucune dénonciation, et le crédit se poursuit.
La question se pose en ces termes : la banque, en sa qualité de créancière hypothécaire, doit-elle relater le crédit hypothécaire en cours et n’accusant aucun retard au sein de sa déclaration de créance ? De cette question en découle une autre : si aucune déclaration n’est faite par la banque, la sanction de la renonciation présumée est-elle de ce fait applicable ?
À suivre le Tribunal du Travail francophone de Bruxelles, dans un jugement du 15 octobre 2017[2], le créancier hypothécaire n’est pas tenu de faire une déclaration de créance pour les échéances hypothécaires du crédit en cours. Le Tribunal ne s’étend hélas pas plus amplement sur la question.
Le Tribunal du Travail du Brabant Wallon, dans son jugement inédit du 20 juin 2019, arrive à la même conclusion en considérant que : pour être concernée par les termes de l’article 1675/9 du Code judiciaire, la créance doit être exigible. Ce qui, dans le cadre d’un crédit hypothécaire en cours et dont les mensualités sont respectées, n’est pas le cas, à défaut de dénonciation dudit crédit.
Le point charnière semble donc, à la lecture de ces jugements, se situer au niveau de l’exigibilité de la créance.
Le Tribunal du Travail du Brabant Wallon considère en effet que « la sanction (..) ne peut, par définition, trouver à s’appliquer qu’aux créanciers qui avaient l’obligation d’introduire une déclaration de créance, soit ceux dont la créance était exigible au jour de l’ordonnance d’admissibilité et qui prétendent à son remboursement dans le cadre du règlement collectif de dettes ».
Or, « en l’absence de dénonciation antérieure à l’admission, la créance hypothécaire est encore, au moment de l’introduction de la requête, une dette à terme ».
Si l’on suit cet enseignement, le créancier qui n’exige pas le remboursement de l’intégralité du solde de sa créance hypothécaire, et qui, à l’inverse, consent à la poursuite du paiement des mensualités, n’est pas tenu d’introduire une déclaration de créance pour les mensualités à échoir du ou des crédit(s) en question. Ceci ne dispense néanmoins pas le créancier de faire une déclaration spécifique pour les éventuels arriérés, ceux-ci n’échappant pas au prescrit de l’article 1675/9 du Code judiciaire et devant en conséquence être déclarés, faute de quoi le créancier sera présumé y renoncer.
Dans les cas où le(s) débiteur(s) habite(nt) l’immeuble hypothéqué et souhaite(nt) en conserver la propriété, la mensualité hypothécaire peut alors être intégrée dans les charges incompressibles, à titre de charge du logement, sous réserve de l’obtention d’une autorisation expresse du tribunal. Les exemples de jurisprudence sur ce point ne sont pas rares[3].
La Cour du Travail de Liège a, à cet égard, jugé que « le logement est un critère essentiel du maintien de la dignité humaine, en sorte que les dettes nécessaires au logement - comme le loyer ou le maintien d'un prêt hypothécaire - doivent être prioritairement payés, ce qui suppose une poursuite des relations contractuelles, vis-à-vis d'un bailleur ou d'un créancier hypothécaire[4]».
Pour savoir si une créance doit être déclarée, le critère prépondérant semble être celui de l’exigibilité de la créance hypothécaire.
Cette réflexion n’est toutefois pas conforme à une jurisprudence antérieure de la Cour du Travail de Bruxelles, qui, dans un arrêt du 6 août 2016[5], a interprété la question différemment. Selon la Cour : « la contestation relative à la déchéance ou non du terme, suite à l’admissibilité à la procédure en règlement collectif de dette, est sans incidence sur l’obligation de déclarer la créance auprès du médiateur de dettes, dès lors que cette créance existait au moment de l’admissibilité à la procédure » et que « une dette à terme est un dette existant à la date d’admissibilité à la procédure ».
La Cour, à l’inverse des décisions des Tribunaux du Travail ici évoquées, retient un autre critère afin de déterminer la nécessité de déclarer une créance, à savoir, la seule existence de la dette.
Les enseignements qui, selon nous, peuvent être tirés de cette brève analyse sont :
Si dans le cadre d’un règlement collectif de dettes, la question de l’obligation pour la banque de formuler une déclaration de sa créance hypothécaire non dénoncée, résultant d’un prêt – en conséquence toujours en cours -, semble encore quelque peu équivoque au vu des critères employés (exigibilité ou simple existence ?) retenons le principe que l’admissibilité du débiteur au bénéfice du règlement collectif de dettes n’entraine pas ipso facto la déchéance du terme, ce qui constituerait une cause de dispense de la déclaration de créance.
Il n’en reste pas moins important que le médiateur puisse y voir clair.
Si le crédit hypothécaire en cours peut être repris dans les charges incompressibles, permettant au débiteur de conserver un logement et un patrimoine pour ses créanciers, et de ce fait, justifier qu’il ne soit pas repris dans une déclaration de créance au même titre que les créances exigibles, la Cour du Travail de Bruxelles ne s’égare nullement lorsqu’elle précise que « la procédure en règlement collectif de dettes a pour objectif d’assainir à terme la situation financière du médié, ce qui exige de cerner sa situation passive à la date d’admissibilité, y compris les dettes à terme », la dette pouvant toujours par la suite être intégrée dans les charges incompressibles et être mise « hors plan ».
En conséquence, le meilleur conseil qui puisse être prodigué aux créanciers et spécialement aux banquiers est le suivant : Par souci précaution, déclarez toujours l’intégralité de vos créances, en distinguant précisément celles qui sont exigibles de celles qui ne le sont pas.
Mimoza Halili
[1] Voir notamment Cass., 18 janvier 2021, R.G. n° S.20.0043.F, p.5 ; Tribunal du Travail francophone de Bruxelles, 19 septembre 2018.
[2] Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 15 octobre 2017, Jugement n° F-20171015-1 (R.G. 17/155/B), Juridat 06/05/2019, www.juridat.be.
[3] Voir notamment : Cour du Travail de Liège, 17 février 2012, inédit, RG n° RCDL 2011/AL/386 ; Cour du Travail de Mons, 16 mai 2012, RG 2011/AM/314.
[4] Cour du travail de Liège, 15 décembre 2016, arrêt n° F-20161215-8 (2016/AN/31 et /32), Juridat, 29/06/2017, www.juridat.be.
[5] Cour du travail de Bruxelles, 6 août 2019, R.G. 2018/AB/931, https://www.echosducredit.be/wp-content/uploads/2020/03/2018.AB_.931.pdf.