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L’action minoritaire : un contre-pouvoir en cas de défaillance de la majorité

Les règles de majorité qui encadrent le processus décisionnel au sein d’une société contiennent en germe un risque : celui de voir des administrateurs faire prévaloir leurs intérêts égoïstes sur celui de la société sans que la majorité des actionnaires ne réagisse adéquatement.

1. Le principe majoritaire et le risque d’abus

L’efficacité des organes sociaux dépend de leur capacité à prendre des décisions rapides. Cette exigence, dictée par le pratique des affaires, ne saurait s’accommoder de la nécessité d’un consensus unanime des membres de l’assemblée générale ou du conseil d’administration en toutes matières. Aussi, en règle, les résolutions de l’assemblée générale sont adoptées à la majorité absolue bien qu’elles s’imposent à tous les actionnaires. Ce « principe majoritaire » régit également les délibérations de l’organe d’administration lorsque celui-ci est collégial.
En ce qu’il abandonne la gouvernance de la société aux actionnaires et aux administrateurs majoritaires, ce principe contient en germe un risque : celui de voir ces actionnaires ou administrateurs faire prévaloir leurs intérêts égoïstes sur celui de la société. Le législateur y a été attentif et a pris le soin de consacrer plusieurs dispositifs permettant à l’actionnaire minoritaire de se prémunir de telles dérives. Les lignes qui suivent sont consacrées à l’un de ces mécanismes : l’action minoritaire.

 

2. Une action en responsabilité intentée pour le compte de la société

Cette action permet à la minorité des actionnaires de mettre en cause, au nom de la société, la responsabilité d’un ou plusieurs administrateurs, auteur(s), par exemple, d’une faute de gestion[1]. La minorité se substitue ainsi à la « majorité défaillante » afin d’assurer la protection de l’intérêt social sacrifié par celle-ci[2]. Intentée pour le compte de la société, cette action ne peut, par conséquent, viser la protection des intérêts privés d’un actionnaire[3]. Les dommages et intérêts éventuellement alloués par le juge saisi reviendront d’ailleurs à la société, à charge pour elle de rembourser aux actionnaires minoritaires « demandeurs » les montants avancés par eux, non couverts par les dépens ou l’indemnité de procédure. Les actionnaires minoritaires seront bien avisés de ne pas introduire l’action minoritaires à la légère, à tout le moins pour deux motifs. D’une part, comme le relève la Cour d’appel de Bruxelles, « seuls des manquements manifestes peuvent être sanctionnés, excédant une marge d’erreur tolérée »[4] dans le chef des administrateurs. D’autre part, les actionnaires minoritaires imprudents peuvent être condamnés personnellement aux dépens ainsi qu’à des dommages et intérêts si la demande n’est pas accueillie par le juge[5]. La prudence recommande par ailleurs de mettre la société à la cause, afin de s’assurer de l’opposabilité du jugement à son égard[6].

 

3. Les titulaires de l’action minoritaire

Pour introduire avec succès l’action minoritaire, le ou les demandeurs doivent atteindre un seuil de participation minimum. Ainsi, au sein des sociétés à responsabilité limitée et des sociétés coopératives, les actionnaires minoritaires doivent détenir au moins 10% des voix attachées à l’ensemble des actions émises par la société au jour de l’assemblée générale annuelle (art. 5:104 et 6:89 du Code des Sociétés et des Associations). Les actionnaires minoritaires d’une société anonyme doivent, quant à eux, « posséder des titres qui représentent au moins 1 % des voix attachées à l'ensemble des titres existant à ce jour ou possédant à ce même jour des titres représentant une fraction du capital égale à 1 250 000 euros au moins » (art. 7:157 du code des sociétés et associations). Sont exclus, en toute hypothèse, les actionnaires ayant votés valablement la décharge des administrateurs. L’existence d’un seuil de participation maximum qui interdirait à l’actionnaire propriétaire de 50% des actions d’intenter l’action minoritaire fait l’objet d’intéressants développements en jurisprudence qui dépassent le cadre de ce bref commentaire[7].

 

4. L’action minoritaire en révocation de l’administrateur unique pour justes motifs

 L’action minoritaire permettant d’obtenir la condamnation d’un administrateur au paiement de dommages et intérêts coexiste avec un autre mécanisme, parfois désigné sous le nom d’« action minoritaire ad hoc »[8]. Ce mécanisme, visé par l’article 7:101 du CSA, peut-être mis en œuvre par les actionnaires minoritaires d'une SA, confrontés à un administrateur unique protégé par la majorité. Ainsi, les titulaires d’actions qui représentent 10 % ou, dans une société cotée, 3 % des droits de vote peuvent désigner un mandataire ad hoc qui peut demander la révocation de l’administrateur unique pour de justes motifs dans le cadre d’une procédure comme en référé. Le législateur a entendu, à cette occasion, « réaliser […] un équilibre entre l’ancrage et l’autocontrôle » par la mise en place d’un régime dérogatoire du droit commun qui attribue, en principe, le pouvoir de prononcer la révocation à l’assemblée générale. L’article 7:101,§4, impose que la société soit citée en déclaration de jugement commun. Les frais de procédure sont, dans cette hypothèse, à charge de la société, à moins que le juge n’en décide autrement.

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Réaliser l’équilibre adéquat entre la flexibilité de la société et la protection des intérêts de chacune des parties prenantes n’est pas chose aisée. Les avocats du cabinet WALK accompagnent les actionnaires et les administrateurs confrontés quotidiennement à cet exercice délicat.

 

Hedwige Hellebaut et Nicolas Wouters

 

 

[1] Les membres du conseil de surveillance peuvent également être visés par l’action minoritaire, à la différence des membres du comité de direction. L’action ne peut pas être dirigée contre le commissaire, mais bien contre le liquidateur (article 2:107 du CSA). Voy. A. JANSEN, D. GOL et W. DAVID, « Le contentieux en droit des sociétés : questions spéciales », Le Code des sociétés et des associations : contentieux et pratique, Limal, Anthémis, 2019, p. 110.

[2] Bruxelles, 11 décembre 2003, D.A.O.R., 2004, p. 65.

[3] Liège, 15 mai 2014, R.G. n°2012/17776, www.juridat.be.

[4] Bruxelles, 11 décembre 2003, D.A.O.R., 2004, p.65.

[5] J. MALHERBE, Y. DE CORDT, P. LAMBRECHT, P. MALHERBE et H. CULOT, Droit des sociétés, 5ème édition, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 305.

[6] Liège, 23 octobre 2006, R.G. n°2003/RG/1330, www.juridat.be.

[7] Voy., par exemple, à ce propos, A. HOUET et M. DE MOFFARTS, « Atteinte au patrimoine d’une société en liquidation et inaction du liquidateur : l’actionnaire majoritaire est-il recevable à intenter l’action sociale, l’action oblique ou l’action minoritaire ? », R.D.C., 2022, p. 616.

[8] P. BOSSARD et M. BORN, « Les actionnaires minoritaires. Actualités et questions particulières », Conférence du 18 octobre 2022.

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