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La responsabilité du fait des animaux : gardien responsable et victime innocente ?

Le gardien est responsable du dommage causé par (le fait de) son animal. La faute de la victime est souvent invoquée par celui-ci pour tenter de s'exonérer de toute responsabilité.

Préambule

La loi du 13 avril 2019[1] portant création d’un Code civil et y insérant un livre 8 « La preuve » a introduit un nouveau Code civil composé de neuf livres. À quelques dispositions près, elle est entrée en vigueur le 1er novembre 2020, ce qui explique la référence à l’ « ancien » Code civil.

 

En droit

L’article 1385 de l’ancien Code civil dispose que « Le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé ».
La faute du gardien est présumée de manière irréfragable[2]. Le gardien ne peut pas échapper à sa responsabilité en démontrant qu’il n’a commis aucune faute.
Sa responsabilité est donc engagée dès l’instant où la victime démontre avoir subi un dommage causé par le fait de l’animal. En application de la théorie de l’équivalence des conditions, il lui appartient ainsi de prouver que sans le fait de l’animal, son dommage ne se serait pas réalisé tel qu’il s’est réalisé in concreto.
En l’état actuel du droit, le gardien peut s’exonérer de sa responsabilité en établissant une cause étrangère exonératoire : un cas de force majeure, une faute d’un tiers ou une faute de la victime elle-même[3] . La charge de la preuve appartient alors « au propriétaire de l’animal ou à celui qui s’en sert », qui doit « prouver que sa responsabilité, en raison du fait de cet animal, qui a causé le dommage, est exclue en raison de l’interposition de la cause exonératoire de responsabilité »[4]. L’origine du fait de l’animal est ainsi recherchée et pourrait permettre au gardien de ne pas voir sa responsabilité engagée[5].
À noter que le droit de la responsabilité évolue vers un droit à la réparation avec une fonction indemnitaire qui ne cesse d’être renforcée[6]. L’avant-projet de loi[7] déposé dans le cadre de la réforme du Code civil de 1804 se prononce en ce sens et :

 

Examen de la jurisprudence récente – faute de la victime invoquée

La faute de la victime est souvent invoquée, dans des situations diverses et variées.
La jurisprudence des cours et tribunaux est particulièrement fournie, alors que les arrêts de la Cour de cassation sont nettement moins fréquents, ce qui renforce le pouvoir des juridictions de fond lors de l’examen des diverses conditions d’application du régime.
Récemment, alors même qu’une personne avait pénétré dans la propriété de son voisin sans y être invitée, et s’était fait mordre par des chiens, la Cour d’appel de Liège a prononcé un partage de responsabilités à concurrence de moitié, estimant que « Dans de telles conditions, en pénétrant dans la propriété de son voisin absent, sans y avoir été invité et sans l'avertir et connaissant la présence de trois chiens, Jean-Louis V. ne s'est pas comporté comme l'aurait fait toute personne normalement prudente et avisée » [11].
La Cour a cependant considéré que cette faute de la victime n’exonérait pas totalement le gardien des chiens car « Nonobstant la faute de l'appelant, le comportement des chiens est loin de constituer une réaction normale de pure défense résultant exclusivement de l'imprudence de l'appelant. L'agression sauvage par les chiens reste, en l'espèce, pour partie anormale et imprévisible. Alors que les chiens sont décrits par le vétérinaire comme des ‘chiens qui ont toujours fait preuve d'un comportement social normal et sans agressivité’, ils se sont comportés le jour des faits comme des chiens tueurs, particulièrement agressifs ».
Dans une autre espèce[12], des parents visitaient un parc animalier avec leur fils. À hauteur du parc à sangliers, ce dernier a passé son bras au travers de la clôture pour nourrir les sangliers avec du maïs provenant d’un distributeur mis à disposition du public en échange d'une pièce de monnaie. L'enfant a été mordu par un sanglier et a subi une amputation d'une phalange du 4e doigt. La responsabilité incombait au gardien de l’animal, soit le parc animalier, qui invoquait une faute de la victime et de ses parents.
La Cour d’appel de Liège a estimé que cette preuve n’était pas apportée à suffisance : « En effet, comme le relève le premier juge, l'aménagement du parc à sangliers n'était pas de nature à attirer l'attention des visiteurs sur le danger qu'ils pourraient encourir en nourrissant directement les animaux. Le caractère sauvage et/ou vorace de sangliers vivant dans un parc et qu'il est permis de nourrir, n'est pas de commune renommée. Bien au contraire, une simple barrière de châtaigner, munie d'un large treillis permettant de passer sa main séparait les animaux des visiteurs. Ces derniers étaient incités à nourrir les sangliers, un distributeur de maïs se trouvant à leur disposition. Aucune consigne particulière ne figurait sur les lieux quant à la manière dont ce nourrissage pouvait s'effectuer, notamment en jetant la nourriture au plus loin ou en veillant à déposer la nourriture sur le plat de la main. C'est en vain que les appelants font valoir que la victime et ses parents auraient dû respecter le règlement d'ordre intérieur affiché à plusieurs endroits du parc qui interdit de nourrir les animaux et de les attirer ou de les toucher ou les pictogrammes de non-nourrissage. Compte tenu de l'aménagement accueillant des lieux et de l'invitation à nourrir les sangliers, sans précaution particulière, les visiteurs ont pu légitiment considérer qu'à cet endroit, l'approche et le nourrissage étaient autorisés et sécurisés. L'affirmation selon laquelle des explications relatives à l'interdiction de passer son bras à travers les barrières auraient été données oralement à l'entrée du parc par un étudiant n'est pas démontrée ».
Enfin, dans une espèce encore plus récente[13], en allant reprendre sa fille chez ses parents, une maman avait profité de l’occasion pour rendre visite à une amie d’enfance habitant la même rue. Elle s’est avancée dans la cour et souhaitait caresser le chien de son amie, un bouledogue français. Au moment où elle s’abaissait, le chien a sauté, la heurtant au niveau de la bouche avec son crâne. Une incisive supérieure a notamment été touchée.
Le Tribunal de première instance du Brabant wallon a retenu la pleine et entière responsabilité de la propriétaire, gardienne de l’animal, considérant que pour pouvoir s’exonérer de toute responsabilité, il appartient au gardien de prouver que le comportement de l’animal n’était ni anormal ni imprévisible et que le dommage a été causé par une faute de la victime, excluant toute faute éventuelle du gardien.
Ces conditions ne sont pas rencontrées selon le Tribunal qui souligne que « le fait de caresser un chien que l’on connaît et qui vient “faire la fête” à l’arrivant, n’est pas fautif et n’est pas constitutif d’imprudence ». Il ajoute qu’« il ne peut être raisonnablement envisagé de faire prévoir à un visiteur (et non au gardien de l’animal), tous les faits et gestes de l’animal (qui peut par exemple, tourner autour de la victime, qui peut se tenir dans son chemin, qui peut sauter et la bousculer, qui peut la surprendre en aboyant ou en la saisissant ou bien, comme d’ordinaire, ne rien faire de spécial). Ce comportement est par essence totalement imprévisible ». Le Tribunal conclut que l’assureur ne peut ainsi ni obtenir l’exonération de responsabilité de son assurée, ni un partage de responsabilité.

 

Conclusion

L’objectivation croissante du régime de la responsabilité du fait des animaux nous invite à conseiller à tout gardien d’un animal d’être bien assuré. Les auteurs de l’avant-projet ne manquent pas de souligner que « Le propriétaire d’un animal peut aisément couvrir sa responsabilité, via l’assurance RC vie privée. Le propriétaire sait qu’il est propriétaire de l’animal et peut s’assurer contre ce risque »[14]. L’assurance responsabilité civile vie privée, fréquemment dénommée R.C. familiale, nous paraît centrale. La rendre obligatoire permettrait de protéger les nombreux débiteurs tenus alors même qu’aucune faute ne peut leur être reprochée.

 

Magaly Hubert et Audrey Pütz

 

[1] M.B., 14 mai 2019.

[2] Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 1932 - Cass., 23 juin 1932, Pas., 1932, I, p. 200.

[3] Se pose la question du lien de causalité à l’égard duquel interviendra la cause étrangère exonératoire : est-ce le lien de causalité entre le fait de l’animal et le dommage (causalité matérielle) ou le lien de causalité entre la faute présumée du gardien et le dommage (causalité juridique) ? Pour plus de considérations à cet égard, voy. not. A. Pütz, « Gardiens d'animaux : assurez-vous ! », For. ass., 2021, pp. 118-125 et les références citées.

[4] Cass., 16 septembre 1988, Pas., 1989, I, p. 54.

[5] E. Montero et Q. Van Enis, La responsabilité du fait des animaux, Tiré à part de l’ouvrage Responsabilités – Traité théorique et pratique (sous la dir. de J.-L. Fagnart), Bruxelles, Kluwer, liv. 35, 2008, p. 30, n° 51 et les références citées.

[6] Sur l’examen des fonctions du droit de la responsabilité civile dans le contexte des réformes envisagées, voy. not. F. George, « Vers une réforme du droit de la responsabilité civile ? », in Les grandes évolutions du droit des obligations, sous la coord. de F. George, B. Havet et A. Pütz, Limal, Anthemis, 2019, pp. 139-142.

[7] Avant-projet de loi portant insertion des dispositions relatives à la responsabilité extracontractuelle dans le Code civil rédigé par la Commission de réforme du droit de la responsabilité instituée par l’arrêté ministériel du 30 septembre 2018, version du 1er septembre 2019, consultable sur le site du SPF Justice.

[8] Exposé des motifs de l’avant-projet de loi, version du 1er septembre 2019, p. 104.

[9] Ibid., p. 103.

[10] Ibid., p. 104.

[11] Liège, 1er février 2019, R.G.A.R., 2019, n°15590.

[12] Liège, 16 janvier 2020, R.G.A.R., 2020, n° 15659.

[13] Civ. Brabant wallon (11e ch.), 29 octobre 2020, For. ass., 2021, p. 118, note A. Pütz.

[14] Exposé des motifs, version du 1er septembre 2019, p. 104.

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