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Les expulsions domiciliaires : Imbroglio procédural en Wallonie et à Bruxelles ?

Bruxelles-Capitale a adopté en première lecture le projet de réforme sur la procédure d’expulsion. Tel n’est pas le cas de la Région Wallonne, dont les procédures seront toujours régies par les dispositions du Code Judiciaire. Tour d’horizon sur les nouveautés et les conséquences de la réforme:

Jacques Rouxel a dit un jour : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Cette expression ironique illustre parfaitement la matière du bail à loyer en Belgique.
En effet, le paysage législatif belge en matière des baux d’habitation ne manque pas de complexité.

A la suite de la sixième réforme de l’Etat, une partie importante des compétences en la matière a été transférée de l’Etat Fédéral aux Régions, lesquelles ont, chacune, adopté leur propre législation de référence sur la question. On citera notamment l’ordonnance bruxelloise du 27 juillet 2017, ayant modifié fondamentalement le Code bruxellois du logement, ou encore le Décret Wallon du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation.
Toutefois, les règles fédérales du Code Civil demeurent résiduellement d’application tant que les Régions n’ont pas encore légiféré en la matière. Enfin, le Code Judiciaire Fédéral continue de régir la procédure générale devant les juridictions, notamment les règles relatives aux procédures d’expulsion.

 

I. La procédure d’expulsion domiciliaire régie par le Code Judiciaire 

La procédure judiciaire en matière d’expulsion pour les baux d’habitation est régie par la loi du 30 novembre 1998, dite « la loi sur l’humanisation des expulsions », ayant inséré le chapitre XVbis dans le livre IV du Code judiciaire intitulé « Procédure en matière de louage de choses et en matière d'expulsion ».
Si l’objectif du présent écrit n’est pas de revenir de façon exhaustive et détaillée sur toutes les étapes de la procédure judiciaire d’expulsion, certains points importants méritent que l’on y consacre ces quelques lignes.
Premièrement, le bailleur ne peut procéder à l’expulsion domiciliaire du preneur que lorsqu’il possède un titre exécutoire, à savoir un jugement condamnant le locataire à être expulsé des lieux en conséquence de la résolution du bail.
La résolution contractuelle et, par corollaire, l’expulsion peuvent être demandées pour des manquements graves aux obligations contractuelles de la part du preneur. Sont principalement considérés comme des manquements graves le non-paiement des loyers[1], ainsi qu’une occupation des lieux ne répondant pas au comportement que l’on peut attendre d’une personne prudente et diligente (dégradations, refus d’assurance, absence d’entretien, etc.).[2]

Triple protection de la loi « d’humanisation des expulsions »

La particularité la loi « d’humanisation des expulsions » est qu’elle a mis en place un dispositif accordant une triple protection aux locataires défaillants et ce dans le but de garantir un soutien accru pour les locataires en situation de précarité.[3]

a. L’avertissement systématique du Centre Public d’Action Sociale

Sauf dans certaines circonstances[4], le CPAS du domicile ou, à défaut, de la résidence du locataire, doit être informé :
Préalablement à la procédure judiciaire d’expulsion. En d’autres termes, il doit être informé des actes introductifs d’instance visant une procédure d’expulsion.[5]
Postérieurement à la signification du jugement d’expulsion. Le CPAS doit être averti par l’Huissier de justice, au plus tard quatre jour après la signification au locataire du jugement ordonnant l’expulsion.[6]

b. Délai d’expulsion – suspension pendant 1 mois :

Avec l’adoption de la loi « d’humanisation des expulsions », le législateur fut sensible à l’impact des dommages causés au locataire par l’expulsion des lieux.
C’est pourquoi, la loi prévoit un délai d’attente de 1 mois suivant la signification du jugement d’expulsion, avant que celle-ci ne puisse être matériellement exécutée.[7]
Néanmoins, la loi permet au juge, à la demande du locataire, d’allonger ce délai de suspension en raison de circonstances d’une gravité particulière « notamment les possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille, en particulier pendant l'hiver »[8]
Si la loi accorde, par cet article, un large pouvoir discrétionnaire au Juge, lui permettant d’évaluer in concreto et au vu de la situation d’espèce, « les circonstances d’une gravité exceptionnelle », il y a lieu d’insister sur le fait qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucun moratoire hivernal généralisé suspendant les expulsions pendant cette période.
Certaines constructions jurisprudentielles, propres à chaque juridiction cantonale existent sur le moratoire hivernal[9], mais sans être unanimes.[10] En outre, faut-il rappeler qu’il incombe au Juge d’évaluer « les circonstances d’une gravité exceptionnelle » de manière stricte, rendant difficile la mise en place d’un moratoire hivernal jurisprudentiel général.[11]

c. Conservation par l’Administration communale des biens du locataire

A l’expiration du délai théorique d’un mois, les biens du locataire qui se trouvent toujours dans les lieux sont, en principe, mis sur la voie publique.
Toutefois, et pour éviter un dispositif trop brutal, le législateur a prévu que les biens du locataire seraient conservés pendant une durée de 6 mois maximum par l’Administration communale, conservation dont les frais de conservation seront à charge du locataire expulsé.[12]

 

II. Vers une réforme sur les expulsions domiciliaires en Région de Bruxelles-Capitale 

Se fondant sur ses compétences implicites, le Gouvernement Bruxellois a adopté en première lecture, ce 28 avril 2022, la réforme de la réglementation des expulsions domiciliaires réalisée par la Secrétaire d’Etat au logement Bruxellois, Madame Nawal Ben Hamou.
Cette nouvelle disposition, qui sera insérée dans le Code bruxellois du logement, comportera en son sein quatre mesures-phare.

a. La procédure d’expulsion judiciaire adaptée :

Les conditions d’expulsion et les délais y relatifs seront adaptés dans l’objectif de permettre aux CPAS concernés « d’intervenir proactivement en amont d’une procédure d’expulsion et d’être à même de proposer des solutions aux locataires et au bailleurs concernés afin d’éviter l’expulsion »[13].
Parmi les adaptations importantes, on relèvera principalement que :

b. Une trêve hivernale généralisée

La grande innovation de la réforme bruxelloise réside sur ce point.
Le dispositif a pour objectif, sauf circonstances exceptionnelles,[15]d’instaurer un moratoire hivernal généralisé qui prendra cours du 1er novembre au 15 mars et ce, dans le but de répondre à « l’absolue nécessité de garantir un logement pour tous en période hivernale et de protéger les locataires les plus fragilisés qu’une éventuelle mesure d’expulsion pourrait mettre en grande difficulté ».[16]

c. Création d’un Fonds de solidarité pour la prise en charge des arriérés de loyers venus à échéance pendant le moratoire

Le maintien dans les lieux pendant plus de trois moins d’un locataire défaillant peut avoir des conséquences négatives non négligeable sur le propriétaire, notamment en termes financiers.
C’est pourquoi le dispositif prévoit la création d’un Fonds de solidarité, auprès duquel le propriétaire pourra se retourner pour être indemnisé en cas de défaillance de l’occupant quant au paiement des loyers pendant la trêve hivernale.
Ce Fonds se verrait financé, entre autres, par les amendes infligées pour insalubrité ainsi qu’aux auteurs de discrimination au logement.[17]

d. Un monitoring sur les décisions d’expulsion

Enfin, un monitoring sur les jugements d’expulsion, réalisé par Bruxelles Logement, permettra de quantifier et de peaufiner cette procédure, afin d’adapter la politique régionale de la manière la plus efficace.

 

Conclusion

Le projet de réforme n’en n’est qu’au stade de l’avant-projet d’ordonnance et n’est actuellement qu’en deuxième lecture au Gouvernement. Son entrée en vigueur ne devrait donc intervenir que dans le courant de l’année 2023.
Si les objectifs espérés par cette réforme peuvent aisément être qualifiés de louables, et qu’il est clair qu’une procédure d’expulsion domiciliaire, plus que dans bien d’autres matières, mérite d’être adaptée au tissu socio-économique local ainsi qu’à la composition du parc locatif, une question mérite d’être posée quant à la complexification toujours plus grande de la procédure d’expulsion domiciliaire en Belgique.
En effet, en l’absence de discussion législative quant à cette procédure en Région Wallonne, nous nous retrouverons donc avec une procédure d’expulsion régie par le Code bruxellois du logement à Bruxelles, et par le Code Judiciaire fédéral en Wallonie, ces deux procédures étant – telles qu’analysées ci-avant – sensiblement différentes.

Affaire à suivre…

Charles Vandenbroucke

 

[1] Une règle jurisprudentielle largement admise ne prononce l’expulsion que s’il y a au minimum trois mois d’arriérés de loyers.

[2] V. VAN DER PLANCKE, ss dir. N. BERNARD « Les expulsions de logement : aspects juridiques », in O.S.S.B, texte mis à jour le 25 septembre 2019, p.11

[3] Ibidem, p. 17

[4] Circonstances qui varient en fonction du moment de l’avertissement, de la nature du bail, de la nature de l’acte introductif, ou de la procédure.

[5] Article 1344ter, §§ 2 & 3 du Code Judiciaire.

[6] Article 1344sexies, §1er du Code Judiciaire.

[7] Article 1344quater, alinéa 1er du Code Judiciaire.

[8] Ibidem

[9] Se fondant principalement sur le respect des droits fondamentaux, à l’instar de l’Article 23, alinéa 2, 3° de la Constitution consacrant le droit au logement ou encore le droit au respect de la dignité humaine.

[10] Voy. Par ex. J.P Ixelles, 6 mars 1995, RG n°9.560, R.G.C.D., 1996, p. 296 ; J.P. Ixelles, 3 décembre 1997, Act. Jur ; Baux, 1998, p. 57.

[11] V. VAN DER PLANCKE, ss dir. N.BERNARD « Les expulsions de logement : aspects juridiques », op.cit., p.21

[12] Article 1344quinquies du Code judiciaire.

[13] N. BEN HAMOU, « Une réforme de la procédure d’expulsion et l’instauration d’un moratoire hivernal généralisé à Bruxelles » in https://nawalbenhamou.brussels/une-reforme-de-la-procedure-dexpulsion-et-linstauration-dun-moratoire-hivernal-generalise-a-bruxelles/ , publié le 29 avril 2022.

[14] Ibidem.

[15] Sont notamment invoqué la sécurité publique, la sécurité de l’occupant, ou l’impossibilité de la prolongation de l’occupation.

[16] Ibidem.

[17] Ibidem

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