Le cabinet Nos départements Notre équipe Nos outils Nos articles Contact
image de l'article

Crypto-monnaies et insolvabilité : quand le système de plateformes d’échange s’effondre

S’il est une année noire pour les crypto-monnaies, il s’agit bien de l’année 2022. Entre dévaluation de la valeur des actifs, échec des NFT et faillites, le monde des crypto-monnaies a été fortement secoué ces derniers temps. Analyse d’un phénomène économique global.

I. Les crypto-monnaies, quèsaco ?             

En 2008, le monde connait une crise financière de grande ampleur. Après la crise des subprimes ainsi que le krach boursier, les pays industrialisés doivent faire face à une montée exorbitante des prix des actifs. Pareille situation n’avait plus été observée depuis 1920. Suite à ces déboires économiques, Satoshi NAKAMOTO, individu ou collectif dont l’identité demeure à ce jour encore un mystère, publie son « Manifeste du bitcoin »[1] et introduit les concepts de crypto-actifs et crypto-monnaies. Il s’agissait de proposer un moyen de paiement alternatif quant à l’échange de biens et de services. Cette vision libertarienne a pour objectif d’abolir le monopole de deux acteurs ayant joué un rôle prépondérant dans la crise financière de 2008 à savoir les gouvernements et les banques[2].    
Les crypto-monnaies, dont l’incarnation la plus connue est le bitcoin, sont conceptualisées autour d’une technologie d’authentification inédite qu’est la blockchain ou littéralement, chaine de blocs. La blockchain permet en effet de garantir l’authenticité d’une information grâce à un système non-centralisé sans l’intervention d’un tiers de confiance (banque ou autres). Les blocks (ou entrées) sont stockés chronologiquement les uns après les autres auprès de différentes machines, créant de la sorte une chaine partagée qui ne peut être corrompue.
L’intérêt des crypto-monnaies réside dans la possibilité de pouvoir être échangées de manière quasi-instantanée, pour des frais dérisoires, et ce de manière quasi anonyme dans le monde[3].  
 

II. 2022 : une année noire pour les crypto-monnaies

Depuis plus de dix ans, les crypto-monnaies semblaient bien se porter. Promues notamment par Elon MUSK, les crypto-monnaies sont passées d’un investissement réservé à un public éclairé à un effet de mode. Mais alors qu’au 1er janvier 2022 un bitcoin valait 46.311 dollars, le 23 décembre dernier, un bitcoin ne valait plus que 16.845 dollars, soit un effondrement de plus de 63 % de sa valeur[4].
Que s’est-il passé ?
Le secteur des crypto-monnaies est entré dans un bear market. Le bear market (ou marché ours) désigne une phase de marché durant laquelle le prix des valeurs cotées évolue à la baisse. Cette phase peut durer plusieurs mois, ou même plusieurs années. Ce bear market est dû, notamment, à la pandémie mondiale de COVID-19 ainsi qu’à la guerre en Ukraine, à une forte hausse du taux de chômage, etc. En résulte une perte de confiance des investisseurs et un sentiment pessimiste général.
Ce bear market, et donc la baisse significative des prix qui en résulte, a eu de nombreux impacts sur les plateformes d’échange de crypto-monnaies, au vu du nombre important de faillites recensées. Ces faillites, intervenues à cause de la mauvaise santé du marché, sont également dues à d’autres conjonctures telles que le krach de TERRA ou encore un mauvais management[5].
TERRA, c’est une crypto-monnaie qualifiée de stablecoin[6] car indexée sur la valeur du dollar américain, et qui s’est effondrée en quelques jours courant mai 2022 suite à un mouvement de panique.
Ce krach intervenant sur le troisième plus gros stablecoin du marché en termes de valorisation a eu raison de plusieurs plateformes d’échange dont CELSIUS qui, au mois de juillet 2022, a demandé à être mise sous le couvert du chapitre 11 de la loi sur les faillites des États-Unis.
En novembre 2022, c’est FTX (deuxième plateforme au monde), qui a été déclarée faillite suite à la découverte de la mauvaise gestion des fonds appliquée.
A cela s’ajoute, pour l’année 2022, l’effondrement des NFT[7], crypto-actifs non fongibles ne pouvant être remplacés par un autre élément.

III. Faillite sur faillite : quels droits pour les détenteurs de crypto-monnaies


La majorité des crypto-monnaies détenues par des entreprises ou des particuliers le sont par le biais d’intermédiaires. Ces intermédiaires, établis sous la forme de plateformes, correspondent à des fournisseurs de portefeuilles électroniques ou encore à des organismes d’échange. Ces derniers offrent un service essentiel en organisant la conversion des crypto-monnaies en monnaie ayant cours légal[8].
Cependant et comme développé ci-dessus, ces plateformes d’échange viennent à faire faillite suite à la dévaluation de la valeur des actifs. Les propriétaires de ces plateformes se retrouvent face à une importante demande d’échange des crypto-monnaies en monnaie ayant cours légal, sans pour autant disposer des fonds nécessaires.
Bien que les quelques plateformes d’échange européennes soient relativement épargnées par le phénomène, ce n’est pas le cas des plateformes américaines et notamment de la plateforme CELSIUS. L’analyse de sa faillite, où plutôt de sa situation s’apparentant une procédure de réorganisation judicaire belge laisse dubitative.
Actuellement sous le couvert du chapitre 11 de la loi sur les faillites des États-Unis, il a été convenu que CELSIUS garde le contrôle de ses opérations internes, tout en étant soumise à la surveillance du tribunal compétent[9].
Quant à l’application de cette procédure en pratique, chaque détenteur de crypto-monnaies, considéré comme créancier, doit faire état des preuves de réclamation quant à la créance qu’il détient. Suite à ces déclarations, CELSIUS convoquera de potentiels acheteurs afin qu’ils se manifestent (certaines sociétés étant spécialisées dans le rachat de ce genre d’actifs) et rachètent les actifs de CELSIUS aux enchères. Il est évident que cette vente aux enchères ne constitue pas en un engagement pour CELSIUS à vendre ses actifs. Cette dernière est en effet censée envisager une restructuration ainsi que le maintien d'une entité autonome comme alternative.
Cependant, le 4 janvier 2023, un nouveau coup de théâtre retenti dans cette saga. Le tribunal américain des faillites (district de New-York) a considéré que, sur base des termes et conditions d’utilisation de CELSIUS, les fonds déposés dans les comptes « EARN » appartenaient à la plateforme. Ces comptes « EARN » correspondent aux comptes de particuliers, ayant fait l’acquisition de crypto-monnaies à des fins privées. Or, depuis avril 2022, il semblerait que les conditions d’utilisation de CELSIUS aient changées, la plateforme d’échange voyant une potentielle crise se profiler. Depuis avril 2022, et pour peu que les nouvelles conditions d’utilisation aient été acceptées par les détenteurs de crypto-monnaies, CELSIUS est propriétaire des fonds déposés dans les comptes « EARN », soit la plupart des comptes disponibles sur la plateforme[10].
Suivant cette analyse et la décision récente du juge new-yorkais, il semble peu probable que ces personnes recouvrent leurs créances. Il s’agit là d’une décision forte qui inspirera surement d’autres plateformes et à laquelle il faut porter attention.

IV. Conditions générales d’utilisation et opposabilité

Au vu des éléments avancés ci-dessus et notamment de la tournure de la faillite de CELSIUS, la nécessité de prendre parfaite connaissance des conditions générales d’utilisation des plateformes d’échange n’a jamais été aussi importante.
Que ces plateformes soient hébergées aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs dans le monde, toutes reposent sur un système d’adhésion similaire. Les conditions générales d’utilisation spécifiques à une plateforme sont soumises à l’acceptation de ses utilisateurs/futurs détenteurs de crypto-monnaies. Il revient dès lors à ces derniers de lire attentivement les conditions auxquelles ils souscrivent afin de leur éviter de mauvaises surprises.
Il conviendra également d’être attentif en cas de changements et/ou adaptations des conditions générales d’utilisation des plateformes d’échange durant toute la période contractuelle. Des changements majeurs et impactant peuvent survenir à tout moment, comme cela a été le cas avec CELSIUS.
La doctrine et la jurisprudence internationale s’accordent sur le fait que des conditions générales d’utilisation sont opposables à tout contractant dès que ce dernier a eu possibilité de prendre connaissance desdites conditions, mais également à partir du moment où celles-ci ont été acceptées. Rappelons que cette acceptation peut revêtir différents aspects en ce qu’elle peut être expresse ou tacite[11].
Dans bien des cas, ces changements de conditions générales d’utilisation sont notifiés au cocontractant par courriel électronique. Il sera alors réputé avoir consenti aux nouvelles conditions si, après un certain délai indiqué, le cocontractant détenteur de crypto-monnaies ne s’est pas manifesté. Une vigilance accrue est donc de mise dès réception d’une telle notification, avec, dans certains cas, des actions à entreprendre afin de limiter de potentielles pertes.
En conséquence, il convient donc de faire particulièrement attention avant d’ acquérir des crypto-monnaies, ces dernières étant un asset encore trop récent dans le paysage judicaire mondiale, mal défini et aux conséquences aléatoires.

 

Charlotte Deprez

 

[1] Satoshi NAKAMOTO, “Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System”, disponible à l’adresse https://bitcoin.org/bitcoin.pdf

[2] Giulio Cesare GIORGINI, « Crypto-actifs et procédure d’insolvabilité », Insolvabilité et restructuration en Allemagne – Annuaire 2022, disponible à l’adresse https://www.schultze-braun.de/fr/espace-info/publications/annuaire-2022-ebook/crypto-actifs-et-procedures-dinsolvabilite/

[3] Amaury PERRIN, « Le bitcoin et le droit : problématiques de qualification, enjeux et régulation », Gestion & Finances publiques, 2019/1 (n°1), page 84 à 93.

[4] Données reprises sur Coin Market Cap, disponibles à l’adresse https://coinmarketcap.com/currencies/bitcoin/

[5] Aurore GAYTE, « Faillite, faillite et faillite : la rude année 2022 pour les crypto-monnaies », 23 décembre 2022, disponible à l’adresse https://www.numerama.com/tech/1218818-faillite-faillite-et-faillite-le-resume-de-lannee-2022-dans-les-crypto-monnaies.html

[6] Crypto-monnaie dont le prix est arrimé à une autre crypto-monnaie, à une monnaie fiduciaire ou à un produit négocié en bourse. Dans le cas d’espèce il s’agit du dollar américain.

[7] « Non fungible tokens ».

[8] Giulio Cesare GIORGINI, op. cit.

[9]  Sénat français, « Une nouvelle architecture assurant une prise en charge judiciaire différenciée et plus précoce des difficultés des entreprises », disponible à l’adresse https://www.senat.fr/rap/l04-335/l04-33519.html

[10] Martin YOUNG, « Celsius : les clients « Earn » seront les derniers à être remboursés », 5 janvier 2023, disponible à l’adresse https://fr.beincrypto.com/marches/137387/celsius-clients-earn-seront-derniers-rembourses/

[11]  P.-A. FORIERS, R. JAFFERALI, « L'opposabilité des conditions générales dans les contrats internationaux » in Les conditions générales de vente, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 79-144.

En continuant à naviguer sur ce site, vous agréez à l’utilisation de cookies en vue du bon fonctionnement du site.
J'accepte