Le cabinet Nos départements Notre équipe Nos outils Nos articles Contact
image de l'article

L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : des pistes en l’absence de fondement légal ?

Le sous-traitant bénéficie d'une action directe contre le maitre de l’ouvrage dans l’hypothèse où l’entrepreneur qui l’a mandaté serait défaillant. Qu'en est-il pour le maitre de l’ouvrage, en cas de mauvaise exécution des travaux du sous-traitant?

Dans le secteur de la construction, les contrats de sous-traitance demeurent une pratique régulière.
Sur le plan juridique, cette situation se traduit par une relation en cascade où deux contrats d’entreprise indépendants voient le jour. Le premier est conclu entre le maitre de l’ouvrage et l’entrepreneur, le second entre l’entrepreneur et le sous-traitant.
Lorsque le sous-traitant réalise les travaux confiés à l’entrepreneur par le maitre de l’ouvrage, il n’existe juridiquement aucune relation contractuelle entre ces deux parties extrêmes à la relation.
Cette situation peut paraître problématique pour le maitre de l’ouvrage lequel, en cas de défaillance de l’entrepreneur principal, ne pourra agir directement contre le sous-traitant en application du principe de la relativité des conventions régi par l’article 1165 du Code Civil.
Néanmoins, nonobstant les termes de l’article 1165 du Code Civil et le principe de la relativité des conventions qu’il consacre, n’existe-t-il pas des recours dont pourrait bénéficier le maitre de l’ouvrage envers le sous-traitant ?

1. Article 1798 de l’ancien Code Civil : Action directe du sous-traitant contre le maitre de l’ouvrage.

La loi du 19 février 1990[1], venue modifier l’article 1798 de l’ancien Code Civil a fourni au sous-traitant un recours particulièrement efficace contre l’entrepreneur en défaut de paiement. Cet article dispose que :
« Les maçons, charpentiers, ouvriers, artisans et sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise ont une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée.
Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier.
En cas de désaccord entre le sous-traitant et l'entrepreneur, le maître de l'ouvrage peut consigner les sommes dues à la Caisse des dépôts et consignations ou sur un compte bloqué au nom de l'entrepreneur et du sous-traitant auprès d'un établissement financier. Le maître de l'ouvrage y est tenu si l'entrepreneur principal ou le sous-traitant l'y invite par écrit ».
En cas de défaut de paiement ou de faillite de l’entrepreneur, le sous-traitant dispose donc d’une action directe en paiement contre le maitre de l’ouvrage à concurrence de la somme dont le maitre de l’ouvrage est redevable envers l’entrepreneur défaillant.

2. Absence d’action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant

a. Position du problème

A l’inverse de la protection législative accordée au sous-traitant, le maitre de l’ouvrage ne bénéficie pas du mécanisme de l’action directe, en cas d’exécution fautive du sous-traitant.
Saisie d’une question préjudicielle par la Cour d’Appel de Bruxelles, la Cour Constitutionnelle s’est prononcée par un arrêt célèbre du 28 juin 2006. Arrêt par lequel elle conclut en la différence de traitement justifiée : 

Toutefois, elle ajoute que « ce principe d’égalité n’empêcherait pas le législateur de prévoir une protection spécifique du maitre de l’ouvrage vis-à-vis du sous-traitant ». [2]
Par ailleurs, en 1973, la Cour de Cassation a développé la théorie de l’immunité relative des agents d’exécution selon laquelle la responsabilité délictuelle du sous-traitant ne peut être engagée qu’à la double condition cumulative que (i) la faute constitue la violation d’une obligation qui s’impose à tous[3], et (ii) que le préjudice soit étranger à l’exécution du contrat[4].
La lecture combinée de ces deux arrêts, à la lumière du principe de la relativité des conventions, octroie au sous-traitant une forme de quasi-immunité et place le maitre de l’ouvrage dans une situation alambiquée dans laquelle il lui est pratiquement impossible d’engager la responsabilité du sous-traitant en cas de mauvaise exécution des travaux et d’entrepreneur défaillant.[5]

b.  Différentes pistes de solutions

La doctrine a, au fil du temps, envisagé divers mécanismes plutôt ingénieux afin d’octroyer une protection certaine au maitre de l’ouvrage. Si ces divers mécanismes n’ont malheureusement pas trouvé écho en jurisprudence, ils ne sont toutefois pas dénués d’intérêt, et justifient que l’on y consacre les quelques lignes qui suivent.

b.1 Stipulation pour autrui tacite

Une première solution réside dans le mécanisme de la stipulation pour autrui tacite.
La stipulation pour autrui est une convention par laquelle le stipulant (entrepreneur) obtient du promettant (le sous-traitant) un engagement pour un tiers (le maitre de l’ouvrage).
Selon cette thèse, la stipulation serait contenue implicitement dans le contrat d’entreprise conclu entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant.
L’écueil quant à la pertinence de cette théorie réside dans l’interprétation « aussi artificielle que divinatoire »[6] de la volonté des parties de créer un droit direct et immédiat dans le chef du tiers bénéficiaire, volonté qui constitue pourtant une condition substantielle de la stipulation pour autrui.[7]

b.2 Ayant cause à titre particulier

La doctrine s’est également appuyée sur l’article 1122 de l’ancien Code Civil qui dispose qu’ « on est censé avoir stipulé pour soi et pour ses héritiers et ayants cause ». Dans cette optique, le maitre de l’ouvrage serait l’ayant cause à titre particulier de l’entrepreneur.
Cette thèse est également critiquée eu égard à son mécanisme tout-à-fait contraire à la relativité des conventions. « En effet, les ayants cause à titre particulier (...) sont précisément les seuls ayants cause à n’être pas visés par l’article 1122, pour la raison qu’ils sont bel et bien tiers ».[8]

b.3 Action directe par la notion de groupe de contrats

Enfin, une solution très intéressante, apparue en France, est fondée sur la notion de groupe de contrats. Il y a groupe de contrats lorsque « plusieurs contrats ont un même objet ou participent à la réalisation d’un but commun, de sorte qu’ils possèdent une même raison d’être ».[9] Sur base de cette construction ingénieuse, le groupe de contrats représentant un tout, le maître de l’ouvrage serait fondé à agir contractuellement contre le sous-traitant.
Si cette notion a été saluée en Belgique pour son adéquation à la réalité économique, elle ne s’est toutefois jamais imposée en doctrine et en jurisprudence, nos institutions étant – semble-t-il – beaucoup plus attachées au principe de la relativité des conventions. Ont été avancés également des griefs quant à l’imprécision de la notion de « groupe de contrats », et quant à l’absence de caractère légal d’une action directe potentielle.
Selon nous, ce mécanisme a le mérite d’être séduisant sous plusieurs aspects, tel que le conçoit notamment J. CABAY :

c. Conclusion :

La Cour Constitutionnelle, par son arrêt du 28 juin 2006, a conclu au respect des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qui concerne l’absence d’action directe au profit du maitre de l’ouvrage vis-à-vis du sous-traitant. Elle n’a toutefois pas manqué de laisser une porte ouverte au législateur. Aucune intervention législative n’a vu le jour depuis lors.
Si la proposition de loi visant à la création du nouveau Livre 5 du Code Civil « entend donner à cette figure juridique (l’action directe) une place dans le droit commun »,[13] il semble qu’une concrétisation de l’action directe du maitre de l’ouvrage soit subordonnée à une intervention particulière du législateur, comme le laisse entendre l’article 5.110 du nouveau Code Civil « La loi peut accorder à un créancier le droit de demander en son nom et pour son compte l’exécution d’une prestation du débiteur de son débiteur ».[14] Ne perdons pas espoir qu’une législation en ce sens voie le jour dans un futur proche.
La solution prétorienne semble également semée d’embuches. La théorie dite de l’immunité relative des agents d’exécution suivie constamment par les juridictions complique fortement un revirement jurisprudentiel.
En outre, les différents palliatifs développés par la doctrine ne trouvent pas échos dans nos Cours et Tribunaux, ce qui rend difficile la possibilité d’engager la responsabilité contractuelle du sous-traitant.
Si certains auteurs ont aperçu une brèche dans l’arrêt du 18 mai 2006 de la Cour de Cassation, sa lecture combinée avec l’arrêt du 15 septembre 2011[15] démontre bien que la transmission de l’action en garantie dont pourrait bénéficier le maitre d’ouvrage, sur pied de l’article 1641 du Code Civil, ne peut s’appliquer qu’à l’égard des fournisseurs / vendeurs successifs de matériaux de l’entrepreneur. Ces arrêts ne reconnaissent cependant en rien une quelconque action directe contre le sous-traitant. [16]
A l’heure actuelle, la solution la plus pragmatique demeure la voie contractuelle, à l’instar d’une stipulation pour autrui expresse contenue dans le contrat de sous-traitance au profit du maitre de l’ouvrage et de tous ses ayants cause à titre particulier, qui leur permettrait d’agir directement contre le sous-traitant en cas de faillite de l’entrepreneur.[17]

 

Charles Vandenbroucke 


[1] Loi 19 février 1990 complétant l’article 20 de la loi hypothécaire et modifiant l’article 1798 du Code civil en vue de protéger les sous-traitants.

[2]  C. Const, arrêt n° 111/2006 du 28 juin 2006, point B.7

[3]  Depuis C. Cass, 29 septembre 2006 R.W., 2006-2007, p. 1717

[4] C. Cass, 7 décembre 1973, Pas., 1974, I, 378.

[5] J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, p. 766.

[6] L. SIMONT, J. DE GAVRE et P.-A. FORIERS, « Examen (1976 à 1980) - Les contrats spéciaux », R.C.J.B., 1985, p. 163, no 46

[7] [7] J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, p. 769

[8] G. GLANSDORFF, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant ou le fournisseur de l’entrepreneur principal », J.L.M.B., 1988, p. 668 in J. CABAY, ibidem.

[9] J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, p. 770

[10] Ibidem.

[11] J. CABAY, « L’action du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant : action directe et groupe de contrats à l’appui d’une solution », J.T., 2009, p. 769

[12] B. LOUVEAUX, « L’action directe du maître de l’ouvrage contre le sous-traitant », note sous Liège, 7 octobre 1993, J.L.M.B., 1995, p. 298.

[13] Exposé des motif, p.138.

[14] Ibidem, p. 326.

[15] Cass, 15 septembre 2011, C.10.0456.N

[16] Kohl, B., « Section 4. - Relation entre le maître de l’ouvrage et le sous-traitant » in Contrat d'entreprise, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 714

[17] Ibidem, p.712

En continuant à naviguer sur ce site, vous agréez à l’utilisation de cookies en vue du bon fonctionnement du site.
J'accepte